Pierre Moscovici: «Les accusations de matraquage fiscal sont un faux procès. Les mesures que nous préparons respectent un équilibre entre entreprises et ménages.»
Le ministre des Finances se montre raisonnablement optimiste après le sommet européen.
À l'ouverture d'une semaine cruciale, marquée par l'audit de la Cour des comptes sur la situation de la France, le discours de politique générale du premier ministre et la présentation du collectif budgétaire pour 2012, Pierre Moscovici, ministre de l'Économie et des Finances, assure que la France tiendra tous ses engagements européens.
Notre site- Les marchés ont salué les conclusions du sommet de l'Union européenne. La zone euro est-elle sauvée?
Pierre MOSCOVICI. - Pour la première fois depuis longtemps, nous pouvons être optimistes, même si nous avons encore beaucoup de travail à accomplir, notamment lors de l'Eurogroupe du 9 juillet. Mais quelque chose d'important s'est produit. D'abord, nous avons obtenu un accord global, posant, conformément aux souhaits de François Hollande, les bases d'une croissance à long terme. Cela grâce notamment aux 120 milliards d'euros - soit 1% du PIB européen - qui ont été débloqués pour financer de grands projets d'infrastructures sur le continent. Nous avons aussi renforcé la stabilité financière de l'euro, en prenant des décisions concrètes pour permettre au futur Mécanisme européen de stabilité (MES) de répondre aux besoins espagnols de recapitalisation de leurs banques, tout en excluant d'en faire le créancier prioritaire, conformément aux souhaits des marchés. Nous avons également décidé d'autoriser le MES à acheter la dette italienne afin de faire baisser leurs taux d'intérêt, compte tenu des engagements très fermes de Rome pour réduire ses déficits structurels. Enfin, l'union bancaire européenne est en marche.
Les positions de la France ont-elles vraiment été entendues? C'est l'Italie qui apparaît comme le principal vainqueur du sommet…
Il ne faut pas raisonner en termes de vainqueurs ou de vaincus. C'est toute l'Europe qui a gagné en trouvant un compromis de grande qualité. Il serait faux de dire, comme je l'ai lu, que l'Allemagne a été contrainte de «plier». Il n'y a pas eu de coup de Trafalgar. Et, contrairement à ce qui se dit, ici ou là, entre Paris et Berlin, entre le président de la République et la chancelière, entre Wolgang Schäuble et moi également, les relations sont bonnes. Cela a permis à François Hollande d'agir comme trait d'union entre les Européens pendant les négociations, tout en jouant le rôle d'apporteur d'idées. Son élection a bel et bien changé la donne en Europe.
Pourtant, le projet français d'euro-obligations ne figure pas dans le compromis final…
Les
euro-obligations restent une solution que nous défendons pour le long
terme. J'ai la conviction qu'elles finiront par advenir, au terme d'un
processus d'intégration solidaire en Europe. Mais nous avons compris
que, pour le moment, il s'agissait d'une ligne rouge que nos amis
allemands ne peuvent franchir. En outre, l'ordre du jour du sommet a été
bousculé par l'urgence de trouver des solutions à court terme pour
soulager la pression des marchés sur l'Espagne et l'Italie.
Comment la France profitera-t-elle, concrètement, des fonds débloqués par l'Europe pour la croissance?
Nous
allons travailler dès à présent à sélectionner des projets concrets -
dans le domaine des infrastructures ou de l'innovation - que nous
présenterons ensuite à la Banque européenne d'investissement et à la
Commission européenne pour qu'ils apportent leur financement. Nous
devons agir vite car il y aura beaucoup de concurrence en Europe.
François
Hollande ayant remis la croissance au cœur du texte européen, va-t-il
maintenant présenter le pacte budgétaire au Parlement?
François
Hollande l'a dit pendant toute sa campagne: il ne ferait pas voter ce
texte s'il n'y avait pas un rééquilibrage en faveur de la croissance. Il
considère qu'avec les avancées obtenues jeudi et vendredi à Bruxelles,
cette réorientation est engagée. Nous présenterons donc devant les
députés et les sénateurs un projet de loi de ratification comportant
deux parties: le traité budgétaire et l'ensemble des mesures issues du
Conseil européen.Nous sommes partisans de la responsabilité, cela fait des mois que nous le disons. Tout comme nous affichons notre combat contre la dette publique. Mais l'austérité n'est pas la réponse à la crise européenne, les dimensions de solidarité, d'emploi et de croissance ne pouvaient pas être occultées.
Votre majorité ne risque-t-elle pas de voir ce pacte budgétaire comme une perte de souveraineté?
Elle
comprendra, j'en suis sûr, que la réorientation de la construction
européenne permet la ratification du traité. Encore une fois, le
désendettement est une ardente obligation: les marchés financiers sont
de plus en plus exigeants. Comment financer correctement les services
publics en ayant cette épée de Damoclès au-dessus de la tête? La gauche a
fait sa mue sur le sujet. Quant à la nouvelle opposition parlementaire,
elle devra prendre ses responsabilités. J'espère que nous trouverons un
consensus.
À quelle échéance présenterez-vous ces textes?
Dès que possible.
La règle d'or sera-t-elle inscrite dans la Constitution?
Inscrire
pour l'éternité une règle interdisant tout déficit, nous n'avons jamais
trouvé cela pertinent. Ce qui est nécessaire, c'est de prendre des
engagements forts. Nous les réaffirmerons lors du débat d'orientation
budgétaire. Le projet de loi de finances donnera les lignes d'équilibres
jusqu'en 2015. Puis une loi de programmation, éventuellement organique,
traduira les engagements pluriannuels de la France en matière de
finances publiques. Le premier d'entre eux - faire revenir le déficit
public de 4,5% cette année à 3% l'an prochain - est un impératif non
négociable. Revenir dessus sous prétexte que cela demande des efforts
serait un appel au meurtre!
Vos engagements devront reposer sur des prévisions de croissance corrigées. Lesquelles?
L'Insee
vient de publier son diagnostic: il prévoit 0,4% en 2012. Mercredi, le
chiffre que nous retiendrons dans le projet de loi de finances
rectificative sera de cet ordre. Quant à 2013, tout le monde sait que
nous n'atteindrons pas 1,7%. Tabler sur une progression du PIB comprise
dans une fourchette de 1% à 1,3% - retenue par toutes les grandes
institutions - paraît plus crédible.
Le mandat de
François Hollande commence par l'engagement de lourdes dépenses, comme
l'embauche de fonctionnaires, notamment dans l'Éducation. Pour concilier
ces dépenses avec le redressement des comptes publics, cela suppose de
trouver des économies beaucoup plus importantes ailleurs. Comment
allez-vous faire?
François Hollande a toujours été très
clair sur son mandat, qui commencera par une phase de redressement dans
la justice, puis se poursuivra par une phase d'expansion et de
redistribution. Nous devons ajuster dès maintenant le budget 2012,
puisque ce dernier, élaboré par la précédente majorité, ne permettait
pas de revenir à 4,5 % de déficit en fin d'année; en outre, certaines
mesures n'ont pas été financées, pour un montant d'au moins 1,5 milliard
d'euros, comme devrait le confirmer l'audit de la Cour des comptes.
C'est ce que nous ferons avec la loi de finance rectificative. Il s'agit
d'abord d'engager la première étape de la réforme fiscale pour plus de
justice. Il y a des priorités, peu nombreuses, comme l'Éducation, la
Justice, la Sécurité et Pôle emploi, qui verront leurs ressources
s'accroître et, pour le reste, il faudra trouver des économies. C'est ce
que François Hollande a toujours dit. La grande différence, c'est,
d'une part, que nous changeons de méthode en abandonnant la RGPP (Revue
générale des politiques publiques, NDLR), qui frappe aveuglément, pour
une politique beaucoup plus pragmatique, concertée et intelligente.
D'autre part, que nous stabilisons l'emploi public global, alors que la
droite le réduisait.
Mais ce redressement va aussi se traduire par une forte hausse des impôts, dès cet été…
Les
accusations de matraquage fiscal sont un faux procès. Les mesures que
nous préparons respectent un équilibre entre entreprises et ménages et,
s'agissant de ces derniers, concerneront les plus aisés. Pour les
autres, nous avons pris des mesures favorables au pouvoir d'achat, comme
le relèvement résolu et raisonnable du smic. Contrairement aux
dernières années, nous agirons dans un esprit de justice fiscale.
Toutes ces mesures ne vont-elles pas encore détériorer la compétitivité de la France?
J'accuse
le gouvernement précédent de ne pas avoir pris les mesures nécessaires
pour redresser les finances du pays. Nous héritons de 600 milliards
d'euros de dettes supplémentaires et d'une compétitivité dégradée. Il
faudra un quinquennat pour réaliser des réformes de structure, dont la
déclaration de politique générale du premier ministre, Jean-Marc
Ayrault, fixera demain le cap. La compétitivité est au cœur des
préoccupations de François Hollande, qui la considère comme la clé de
tout, y compris de l'influence de la France en Europe et dans le monde.
Mais nous ne suivrons pas la politique de la droite, avec des mesures
injustes et inefficaces, comme l'augmentation de la TVA.
Votre
intention de taxer à 75% les revenus au-delà de 1 million d'euros a été
sous le feu des critiques - elle pourrait faire fuir à la fois des
Français aisés et des entreprises. Allez-vous vraiment la mettre en
œuvre?
Nous ne renonçons à aucun de nos engagements.
Quand
la Banque publique d'investissement, que vous présentez comme un outil
au service de cette compétitivité, sera-t-elle opérationnelle?
Elle
sera opérationnelle à l'automne 2012. La mission de concertation sur le
sujet - qui va rencontrer toutes les parties prenantes (CDC, Oséo, FSI,
présidents de régions, etc.) - rendra ses conclusions dès la fin de ce
mois. Cette banque publique sera un outil nécessaire pour mettre en
cohérence notre politique vis-à-vis des entreprises et un moyen puissant
de financement des PME et entreprises de taille intermédiaire.
Et le décret sur les rémunérations des patrons d'entreprises publiques?
Cela
ira très vite aussi, d'ici à la fin juillet. Je tiens à souligner que
l'esprit d'entreprise ne se résume pas à la rémunération. Nous voulons
de bons patrons pour nos entreprises publiques et il n'est pas dégradant
de gagner 450.000 euros. Certains salariés pourront gagner davantage
que le mandataire social? J'entends bien cette remarque. Mais le
dirigeant d'une grande entreprise a d'autres motifs de satisfaction que
la rémunération, à commencer par la reconnaissance de la collectivité
nationale. C'est pourquoi nous serons très fermes pour avancer dans
cette démarche.
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