Presstalis distribue 70% de la presse et l'intégralité des quotidiens.
Le Syndicat du livre SGLCE-CGT a bloqué la parution des quotidiens plus de trente fois depuis l'annonce d'un plan de restructuration de Presstalis en septembre, n'hésitant pas à user de l'intimidation physique et à détruire des journaux. Le gouvernement devrait nommer un médiateur.
«Il va falloir que vous voyiez mon cadavre pour réagir!» s'exclame un kiosquier
en pleurs. Privé de tous les quotidiens mercredi, ce vendeur de
journaux est aussi privé de tout chiffre d'affaires. Car les jours de
non-parution des quotidiens, les lecteurs se détournent des points de
vente, même pour acheter des magazines. Or, depuis le mois de septembre
2012, date du début du conflit entre Presstalis
(le distributeur de 70 % de la presse et de l'intégralité des
quotidiens) et les ouvriers du livre SGLCE-CGT, on a comptabilisé près
de 30 jours de non-parution partielle ou totale des quotidiens.
Du
coup, c'est le monde de la presse qui est à bout. Les lecteurs sont
excédés et le font savoir. Les grands éditeurs de presse perdent environ
300.000 euros de revenus chaque jour de non-parution, alors même que
leur situation économique est délicate. Pire, les titres les plus
fragiles, dont Libération, qui vit essentiellement des ventes au numéro, mais surtout L'Humanité,
sont au bord du gouffre. Le gouvernement est mobilisé. Lors de ses vœux
à la presse, le 16 janvier, le président de la République, François Hollande,
avait clairement mis les ouvriers du Livre en garde contre les abus du
droit de grève qui mettent en péril la liberté d'informer. Le
gouvernement pourrait nommer un médiateur d'ici à la fin de la semaine.
Il y a urgence, car le conflit s'envenime.
En octobre, les éditeurs de presse,
l'État et Presstalis avaient trouvé un accord pour sauver le
distributeur d'un dépôt de bilan. Chacun devait mettre la main à la
poche pour renflouer Presstalis, qui, de son côté, s'engageait à faire
une grande purge dans ses effectifs pléthoriques. Un plan qui coûterait
plus de 200 millions d'euros. Près de 1250 emplois doivent être
supprimés en trois ans, soit la moitié des 2500 salariés. Cela donne une
idée des sureffectifs!
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Des cadres étonnament nombreux, payés jusqu'à 7000 euros:
La
clé du problème est simple. En dix ans, le volume de journaux à
acheminer chaque jour a diminué de 25 %. Or, dans le même temps, les
effectifs de Presstalis sont restés constants. Ce qui explique que
l'entreprise creuse chaque année ses pertes. Aucun gain de productivité
n'a été fait. Ainsi, depuis la modernisation des imprimeries, le
comptage des paquets de journaux se fait automatiquement. Mais il y a
toujours des employés de Presstalis pour regarder passer ces
paquets toute la nuit!
L'activité de Presstalis est celle d'un
logisticien qui vient prendre les journaux à la sortie des imprimeries
pour les répartir dans les 27.500 points de vente à travers la France.
Mais, différence de taille, cette activité est assurée, depuis 1945, par
le Syndicat du livre CGT, qui a le monopole de l'embauche et a signé
une convention collective qui assure des salaires particulièrement
généreux. «Pas du tout, se défend Marc Norguez, secrétaire général du
SGLCE-CGT, majoritaire chez Presstalis. Les ouvriers gagnent 2600 euros
net par mois sur treize mois pour un travail de nuit, de week-end et
dans des conditions pénibles.» C'est effectivement le salaire de base
des ouvriers. Mais il faut y ajouter les primes d'ancienneté, de travail
de nuit, de casse-croûte, de pénibilité, de jours fériés… ce qui, au
final, représente un salaire de trois fois à trois fois et demie le smic
brut (4200 à 5000 euros) ! Sans compter que chaque jour férié et chaque
nuit travaillée ouvrent droit à une journée de récupération. Enfin, le
taux d'encadrement chez Presstalis est étonnamment élevé. Et ces cadres
sont payés de quatre à cinq fois le smic brut (5700 à 7100 euros) en
moyenne. Résultat, le coût d'un employé de Presstalis équivaut à
nettement plus du double de celui des employés d'un autre logisticien,
et son temps de travail est nettement inférieur de moitié. Presstalis
tente actuellement de reclasser ses salariés dans d'autres entreprises,
mais les différences de salaires sont trop importantes.
Outre les
dépôts en province, Presstalis compte 450 employés à son siège et 350
personnes dans ses centres parisiens. Les négociations sur le sort des
salariés du siège et de la province pourraient rapidement aboutir. En
revanche, le blocage est complet sur les centres parisiens, qui
cristallisent tous les problèmes. Presstalis veut concentrer les trois
centres en un seul à Bobigny, sous-traiter totalement la gestion des
magazines à Geodis et faire passer les effectifs de 350 à 120 personnes,
avec, à la clé, des indemnités de départ d'au minimum 100.000 euros en
moyenne par personne. Le tout permettrait d'économiser 22 millions
d'euros par an. «Nous rejetons ce plan et ne sommes pas dans une logique
de négociation. Nous allons poursuivre les actions de blocage»,
explique Marc Norguez, qui s'insurge contre la sous-traitance des
magazines et propose que deux centres de traitement soient conservés et
qu'une cinquantaine de postes seulement soient supprimés grâce à des
mesures d'âge. La situation est ubuesque. Presstalis multiplie les plans
de départ depuis des décennies. Il y en a eu en 1994, 2000, 2004, 2007
et donc en 2013. Les précédents plans, financièrement extrêmement
généreux, permettaient à leurs bénéficiaires de partir avant l'âge de la
retraite, tout en restant payés par le groupe. Du coup, la pyramide des
âges chez Presstalis montre aujourd'hui une majorité d'employés jeunes.
Et, monopole d'embauche oblige, la plupart des employés actuels sont
les enfants, les neveux, les cousins… des employés partis avec un chèque
de 200.000 euros en moyenne lors du plan précédent!
Battes de base-ball, marteaux et rails de chemin de fer:
Trop
jeunes pour partir en préretraite, trop payés pour se reclasser, les
salariés actuels de Presstalis n'ont plus rien à perdre. D'où la
radicalisation du mouvement et la violence des actions. Mercredi,
300 ouvriers ont tenté de bloquer le centre de Bonneuil, géré par Geodis
pour la distribution des magazines. En septembre 2012, 200 ouvriers
avaient déjà débarqué dans ce centre avec des battes de base-ball, des
barres à mine et des marteaux. Ils l'avaient mis à sac et avaient même
démonté les rails de chemin de fer appartenant à la SNCF. Enfin, pour
s'assurer qu'aucun magazine ne serait commercialisé, ils les avaient
arrosés avec des lances à incendie. Depuis, le centre est sous
protection policière. Un autre soir, un éditeur prévenu d'une grève dans
la distribution avait décidé de ne pas imprimer les journaux. Coup de
fil immédiat d'un responsable du syndicat: «Si vous n'imprimez pas, nous
ne pourrons pas détruire les journaux. Imprimez, sinon la grève sera
prolongée.» Des exemplaires ont donc été sortis pour être détruits! Et
les éditeurs ne portent presque jamais plainte. Car toute plainte serait
suivie de mesures de rétorsion encore plus violentes. Et les groupes de
presse n'ont plus les moyens financiers d'engager un bras de fer long
et coûteux avec le syndicat.
Ils savent qu'il serait possible de
mettre en place des circuits de distribution alternatifs à Presstalis et
deux fois moins coûteux. Mais les autres logisticiens et les
répartiteurs pharmaceutiques qui pourraient effectuer ce travail sont
terrorisés à l'idée de transporter des journaux. Et aucun groupe de
presse ne veut prendre le risque de quitter Presstalis, ce qui
entraînerait immédiatement l'effondrement du système et donc celui de la
presse.
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