François Hollande fait face à trois crises qu'il va devoir résoudre rapidement s'il veut éviter de graves désagréments pour le pays et pour lui-même. Une crise de finances publiques qui résulte d'une erreur de modèle de développement mis en oeuvre depuis quatorze ans. Une crise de compétitivité économique liée à une désindustrialisation accélérée du pays. Une crise de compétitivité fiscale qui doit être résolue tout en améliorant l'équité de notre système social. Chacune de ces crises est un noeud de contradictions qu'il faudra trancher rapidement si l'on ne veut pas que, la France apparaissant rapidement comme le véritable maillon faible de la zone euro, une déflagration frappe la zone euro.
Le déficit public s'est réduit de 7,1% en 2010 à 5,2% du PIB en 2011 et devrait atteindre 4,5% du PIB, ou plus selon les options politiques mises en oeuvre à l'issue des législatives, en juin 2012. La dette publique est passée de 68% du PIB en 2008 à 86% du PIB fin 2011 et devrait atteindre au minimum 88% du PIB fin 2012. La crise économique mondiale de 2008-2009 et celle de la zone euro en 2010-2011 ont donc coûté 20 points de PIB d'endettement supplémentaire en quatre ans.
Mais la présentation du déficit public, qui concerne l'Etat, les collectivités locales et la Sécurité sociale, ne rend pas compte de l'ampleur des déséquilibres. Si on considère le seul Etat et si l'on compare son déficit à ses dépenses, le déficit atteindra le quart de ces dernières en 2012, voire plus. C'est un ordre de grandeur proche du déficit budgétaire à la fin de l'Ancien Régime, surtout si de nouvelles dépenses viennent alourdir la barque. Et les États généraux convoqués pour y remédier ont conduit à la Révolution que l'on sait. Cette crise très grave de nos finances publiques se double d'une crise de compétitivité de notre secteur productif. Au cours de la période 1998-2011, la France a perdu 42% de ses parts de marché à l'exportation au plan mondial et 28% de ses parts de marché dans les exportations de la zone euro. Sur la même période, au plan mondial, l'Allemagne n'a perdu que 10% de ses parts de marché à l'export et l'OCDE, qui regroupe l'ensemble des pays industriels, a perdu 21% de ses parts de marché à l'export. Il y a donc un effondrement des parts de marché de la France à l'export en douze ans qui est le double de la baisse de l'OCDE et quadruple de la baisse de l'Allemagne.
Mesurées en proportion des exportations allemandes, les exportations françaises baissent continûment de 1998 à 2011. Les exportations françaises de biens et services atteignaient 62% des exportations allemandes en 1998, 54% en 2002 et 50% en 2004, puis 44% en 2007 et 41% en 2011. Il y a donc une rupture majeure de compétitivité relative entre la France et l'Allemagne qui intervient dès 1998 et qui manifeste ses effets essentiellement de 1998 à 2007. En effet, les exportations allemandes sont moins sensibles aux variations de l'euro que les exportations françaises qui, étant moins sophistiquées en moyenne que les exportations allemandes (que l'on songe à l'automobile), sont très liées aux changements de prix: nos exportations sont dynamiques quand l'euro est faible et calent quand l'euro monte au-dessus de 1,15 dollar. Les exportations allemandes ne commencent réellement à souffrir que lorsque l'euro dépasse 1,55 dollar. Mesurée ainsi, on peut dire que la compétitivité française est inférieure d'un quart à la compétitivité allemande sur les marchés internationaux. Cet écart de compétitivité s'est continûment creusé au cours des quatorze dernières années.
La France détient le record de taux d'impôt sur les sociétés:
La combinaison d'une crise historique de nos finances publiques et d'une crise majeure de compétitivité de notre appareil de production étouffe la France au commencement de cette décennie. L'économie française est très fragile en ce milieu de 2012 tandis que la crise de la zone euro n'en finit pas de produire ses ravages depuis le dérapage de la Grèce à l'automne 2009 et son effondrement au printemps 2010. Les plans d'aides massifs de juin 2010 à mars 2012 n'ont donné que de brefs répits à la Grèce et à la zone euro, avant de nouvelles glissades. Les élections législatives du 6 mai en Grèce ont amené au Parlement de nombreux extrémistes de droite et de gauche. L'Espagne est au bord du précipice depuis le mois de mars.François Hollande, devant des ouvriers pendant la campagne présidentielle, a promis un «coup de pouce» pour le smic.
L'origine de ces crises est maintenant bien connue (voir mon livre, L'Exception française, Grasset, 2012). La France a adopté en 1997 un modèle de développement par la consommation tirée par une dépense publique à crédit tandis que l'Allemagne, au même moment, choisissait de mettre en oeuvre un modèle de développement fondé sur les exportations industrielles. En effet, la France baignait, au milieu des années 1990, dans une vision du monde marquée par la fin du travail et l'entrée dans le postindustriel quand l'Allemagne concentrait ses forces sur le rétablissement de sa compétitivité industrielle. Quatorze ans plus tard, les effets de cette différence d'approche sont clairs comme une gifle: la France subit un déficit extérieur béant (70 milliards d'euros par an) quand l'Allemagne a un excédent de 150 milliards d'euros par an. C'est que l'essentiel des exportations mondiales reste dominé par l'industrie. Non seulement la France a commis en 1997-1998 une erreur stratégique monumentale, mais la droite, revenue au pouvoir en 2002, n'a jamais réellement remis en cause cette vision postindustrielle et post-travail en dépit d'ajustements finalement mineurs à partir de 2005 (pôles de compétitivité, puis réforme des universités, du crédit d'impôt recherche et de la taxe professionnelle).
La France fait donc face à un triple impératif de reconstruction de son moteur industriel, de réduction de sa dépense publique et d'élimination de son déficit, et de rétablissement de sa compétitivité fiscale tout en améliorant l'équité de son système économique et social.
Comment sortir de cette impasse stratégique? Si nous voulons que la France accélère sa mue, nous devons fixer des objectifs clairs pour élaborer une vraie stratégie de rupture par rapport aux erreurs du passé. Ces objectifs peuvent apparaître hors d'atteinte. Ils donnent pourtant l'ordre de grandeur exact pour reconstruire une grande république prospère et juste et ayant regagné une véritable influence en Europe et dans le monde. Trois groupes d'objectifs s'imposent.
1. Reconstruire notre économie:
Nous pourrons considérer que nous aurons reconstruit notre économie en 2017 si nous avons bien amorcé la création des 3 millions d'emplois productifs qui nous manquent, par le développement de nos entreprises. Pour que la France ait un taux d'activité de la population comparable à celui de l'Allemagne, nous aurions besoin de milliers d'entreprises nouvelles de 200 à 2000 salariés nous donnant les 3 millions d'emplois nécessaires. Le nombre de nos entreprises exportatrices doit doubler, passant de 90.000 à 180.000, et notre part dans les exportations mondiales doit passer de 3,4 à 5,1 %, soit seulement 55% de la part allemande. Il faudrait même se fixer un objectif à dix ans de doublement de notre part dans les exportations mondiales, de 3,4 à 6,8%, ce qui ne représenterait toujours que 74% de la part allemande, reflétant ainsi les écarts de PIB. L'effort de recherche et développement doit passer de 2,1% du PIB à 3% du PIB d'ici à 2017. Cette évolution de notre secteur productif exigera que la moitié de l'écart de rentabilité entre les entreprises françaises et allemandes soit rapidement comblé. Actuellement, la rentabilité de notre secteur productif, en excluant les 120 plus grosses entreprises les plus internationalisées, est inférieure de moitié à celle du secteur productif allemand. Cette politique produirait une accélération significative de la croissance. Mais François Hollande a plutôt annoncé une hausse de 45 milliards d'euros d'impôts dont 33 milliards d'euros à la charge des entreprises et 12 milliards à la charge des ménages pour financer 20 milliards d'euros de hausses de dépense publique. Il a annoncé un «coup de pouce» sur le smic. S'il est sérieux sur la relance de la production, il devra plutôt annoncer une baisse du taux de l'impôt sur les sociétés pour les PME et un gel du smic jusqu'à ce que s'enclenche le redémarrage de la production.2. Restaurer nos finances publiques:
Nous pourrons considérer que nous aurons restauré nos finances publiques en 2017 si la dépense publique est passée de 56% du PIB en 2012 à 49% du PIB en 2017. Le déficit public doit passer de 4,5% du PIB en 2012 à 0% en 2017. La dette publique baisserait, tandis que le taux d'impôt sur les sociétés et le taux marginal de l'impôt sur le revenu pourraient être alignés sur le taux anglais. Les prélèvements obligatoires (PO) baisseraient de 45% du PIB en 2012 à 42,5% du PIB en 2017. François Hollande a plutôt annoncé, comme évoqué ci-dessus, une hausse des PO tandis que la dépense publique continuerait de progresser sous sa direction au rythme de 1% par an en volume après le saut à la hausse de 20 milliards d'euros en 2012. S'il est sérieux sur la consolidation des finances publiques, M. Hollande doit renoncer à créer des dizaines de milliers de postes de fonctionnaires et surtout continuer la politique d'allongement de la durée de cotisation pour les retraites amorcée par la loi de novembre 2010. Peut-on imaginer qu'il s'engage dans cette voie?3. Rétablir notre compétitivité fiscale:
Nous pourrons considérer que nous aurons rétabli simultanément la compétitivité fiscale et l'équité entre les classes sociales au 1er janvier 2013 si le taux moyen d'imposition sur les revenus des ménages augmente pour tous les centiles de revenus, notamment pour les trois centiles les plus élevés, ce qui exigera la suppression de toutes les niches fiscales autres que celles favorisant le renforcement des fonds propres de nos entreprises. La France ayant construit un «écosystème de fécondité» qui maintient la natalité à un niveau élevé, il conviendra de consolider le quotient familial en laissant aux couples le choix annuel entre le quotient conjugal et l'individualisation de l'impôt sur le revenu. Les salariés devront être intéressés aux bénéfices de la reconstruction de notre appareil de production. M. Hollande a plutôt annoncé un durcissement de la loi sur le quotient familial qui, couplé à la hausse de l'impôt sur le revenu, cible les familles des classes moyennes et supérieures alors que la politique familiale vise une redistribution horizontale entre familles ayant ou non des enfants et non une redistribution verticale. M. Hollande peut-il finalement se raviser sur ce dossier sachant que beaucoup d'experts du Parti socialiste le poussent plutôt à durcir sa position? Le nouveau modèle de croissance à mettre en oeuvre doit opérer un basculement, non pas vers une simple politique favorisant mollement l'offre productive, comme si l'on n'osait pas parler d'entreprises et d'entrepreneurs, mais vers une politique favorable à la production marchande par des entreprises compétitives. François Hollande a-t-il pris la mesure de ces défis alors que la hausse massive annoncée des impôts frappant le secteur productif nous éloigne de la nécessaire reconstruction de nos forces productives?Une crise de la dette française aviverait la crise de la zone euro:
Manifestations en Grèce. Angela Merkel a écrit à François Hollande pour lui demander de «prendre les décisions nécessaires pour l'Union européenne et la zone euro».
Il faut bien comprendre la gravité de la crise de la zone euro. Cette zone, qui n'est pas une zone monétaire optimale, est divisée en deux. La partie nord, constituée de l'Allemagne, du Benelux et de l'Autriche, a choisi en 1997-1998 de mettre en oeuvre un modèle industriel exportateur qui produit des excédents considérables de balance courante des paiements tandis que la zone sud, constituée de la France, de l'Italie, de l'Espagne et du Portugal a choisi au même moment un modèle de croissance tiré par une dépense à crédit. Cette croissance à crédit a produit de gros déficits extérieurs de balance courante dans ces quatre pays. En 2010-2011, Nicolas Sarkozy avait commencé à freiner la dépense publique tout en initiant une politique plus favorable à la production. Si François Hollande met en oeuvre la forte hausse annoncée des dépenses publiques tout en instaurant un choc fiscal au détriment des entreprises, la France s'enfoncera davantage dans ce modèle de fuite en avant dans la dépense publique alors que l'Italie, l'Espagne et le Portugal ont mis en oeuvre des plans d'ajustement sévères. Le retour de la contrainte extérieure, tandis que nos besoins de financement public continuent d'être couverts aux deux tiers par des fonds étrangers, pourrait étouffer très rapidement l'économie française. Une crise de la dette française aviverait la crise de la zone euro jusqu'à l'incandescence.
François Hollande saura-t-il remettre la France rapidement sur un sentier de croissance équitable en proposant un nouveau modèle de développement crédible? A-t-il pris la mesure des défis auxquels il fait face alors qu'il s'apprête à engager notre économie dans la direction opposée à celle qui est requise? Comprend-il que si la France remet en cause la restructuration de la dépense publique, les marchés peuvent brutalement refuser de financer le déficit et que la zone euro peut alors s'engouffrer rapidement dans une crise fatale? Réponse avant Noël.
Christian Saint-Etienne est professeur titulaire de la chaire d'économie industrielle au Conservatoire national des arts et métiers et membre du Conseil d'analyse économique. Derniers livres parus: L'Incohérence française (Grasset, janvier 2012) et Le Joker européen (Odile Jacob, mai 2012).
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