Selon des chiffres que s'apprête à communiquer le
panéliste GfK, le marché du livre physique en France n'a reculé que de
1,45 % l'an dernier.
Les ventes des libraires ont reculé de 1,5 % l'an dernier. Les graves difficultés de Virgin ne doivent pas cacher les performances de plusieurs enseignes très dynamiques.
Les temps changent. En 1988, quand Virgin s'est installé sur les
Champs-Élysées à Paris, certains s'inquiétaient de la menace hégémonique
que faisait peser le «mégastore» sur les librairies de quartier.
Aujourd'hui, l'enseigne, placée en redressement, pourrait disparaître.
La faute à Amazon, comme le laissent entendre certains, dont la ministre
de la Culture, Aurélie Filippetti?
La montée en puissance
d'Internet, qui représente désormais 12 % des ventes, est en réalité une
donnée du problème parmi d'autres. Selon des chiffres que s'apprête à
communiquer le panéliste GfK, le marché du livre physique en France a
reculé de 1,45 % l'an dernier, à 3,8 milliards d'euros. Il est donc loin
de s'effondrer, alors que, dans le même temps, les ventes de livres
numériques demeurent marginales. Virgin a été rattrapé par la crise de
la musique, qui est restée trop longtemps le cœur de son offre. Mais
c'est loin d'être le cas de tous les vendeurs de livres.
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Leclerc, numéro 2:
«Il
ne faut pas jeter le bébé avec l'eau du bain, estime Yves Marin,
spécialiste de la distribution chez Kurt Salmon. Même si les voies
d'accès aux produits se sont multipliées, c'est un marché où la demande
reste forte.» La Fnac, premier libraire en France avec une part de
marché de 16 % tous circuits confondus, a suivi la tendance, avec un
effritement de ses ventes de livres de 1,5 % en 2012. «Nous étions très
inquiets au premier semestre, mais l'année s'est plutôt bien finie»,
indique Élodie Perthuisot, directrice du livre de la Fnac (PPR), qui
défend le positionnement «référent» de l'enseigne (90 magasins en
France).
«Internet ne tue pas le marché, renchérit Pierre
Coursières, PDG du Furet du Nord. Pour réussir, il faut avoir le bon mix
produits et des charges locatives raisonnables.» Parmi les libraires
indépendants, le Furet tire très bien son épingle du jeu. Tout comme
Decitre dans la région lyonnaise ou de grandes librairies de
centres-villes, comme Ombres Blanches à Toulouse, Le Failler à Rennes ou
Gibert à Paris. Ce sont des librairies qui misent sur un nombre
important de références en littérature, ciblent les familles (scolaire,
pratique, loisirs créatifs) et développent des politiques actives
d'animation.
Loin du foin médiatique qui prédit la fermeture de
centaines de points de vente du livre si rien n'est fait pour protéger
les indépendants, victimes de la concurrence d'Internet et des grandes
surfaces, deux enseignes se sont fait une place au soleil. Le
distributeur alimentaire Leclerc a créé ses premiers «espaces culturels»
dès 1989. Avec succès. L'enseigne dispose aujourd'hui d'une force de
frappe de 215 points de vente en coopérative et revendique le rang de
deuxième libraire de France. Son chiffre d'affaires aurait progressé de
plus de 6 % l'an passé. Comme la chaîne concurrente Cultura, dont le
patron est lié à la famille Mulliez (Auchan), Leclerc a ciblé les zones
de chalandise où il y a un déficit d'offre: périphérie des grandes
villes pour Cultura et petites ou moyennes agglomérations pour Leclerc.
Les petites librairies de quartier menacées:
Dans
les espaces culturels, la moitié de la surface de vente est consacrée
aux livres (60.000 références, contre 10.000 en hyper) avec un personnel
très qualifié. «Le livre est au cœur de notre offre avec une profondeur
de spécialiste», explique Hugo Bélit, adhérent Leclerc à Pau. Cultura
(52 succursales) poursuit de son côté une stratégie d'implantation
dynamique depuis quinze ans en ouvrant de plus grands magasins (jusqu'à
6000 m2), où le livre réalise un gros tiers des ventes, à côté des
loisirs créatifs et de la papeterie. L'enseigne, qui dispose d'une
solide trésorerie, envisagerait de racheter une partie des 26 magasins
Virgin. À périmètre constant, elle indique avoir enregistré une
progression «significative» de ses ventes de livres en 2012.
Ce
sont en fait surtout les petites librairies de quartier, dont les
charges foncières sont trop élevées, qui sont le plus menacées. Leur
très faible rentabilité rend leurs marges de manœuvre de plus en plus
limitées.
La remise de 5 %: stop ou encore?
Un
temps envisagée puis apparemment rejetée par le gouvernement, la
suppression de la remise des 5 % sur le livre, la seule autorisée par la
loi Lang, fera-t-elle partie du plan de soutien à la librairie
indépendante que doit présenter la ministre de la Culture, Aurélie
Filippetti, au Salon du livre fin mars? Le Syndicat national de la
librairie (SNL) soutient que cette suppression permettrait aux petits
libraires, dont la rentabilité est aujourd'hui quasi nulle, de récupérer
deux à trois points de marge. Selon lui, le critère du prix n'est pas
déterminant pour se rendre en librairie. Seuls les grands acteurs de la
vente en ligne, Amazon en tête, et la grande distribution pratiqueraient
ce rabais de 5 % pour tout achat. Il constituerait notamment un élément
de dynamique commerciale sans condition de détention d'une carte de
fidélité. De leur côté, la Fnac ou Cultura ne le feraient pas
systématiquement. Les discussions se poursuivent entre les acteurs de la
filière. Réponse au printemps.
L'avenir de Virgin:
Les
repreneurs éventuels ont jusqu'à la mi-mai pour se déclarer candidats à
la reprise, totale ou partielle, des 26 magasins Virgin, placés en
redressement judiciaire le 14 janvier dernier. Mais les offres ne se
bousculent pas. Le chiffre d'affaires de l'enseigne (environ 300
millions d'euros en 2011) est en recul de plus de 10 % avec des pertes
nettes de plus de 10 millions d'euros par an. Virgin a raté le virage du
numérique dans la musique et la vidéo, où Apple et Amazon prospèrent.
L'offre de Patrick Zelnik, PDG du label indépendant Naïve, qui souhaite
redonner sa «vocation de spécialiste» au navire amiral de Virgin, sur
les Champs-Élysées, ne tiendrait pas la route, faute de financement. Les
seuls espoirs de l'enseigne, détenue à 74 % par le fonds Butler Capital
Partners et à 20 % par Lagardère, viendraient de la chaîne Cultura, qui
disposerait du cash suffisant pour reprendre certains magasins. Une
vente par appartements que veulent à tout prix éviter les 1000 salariés
de Virgin.
Amazon: les subventions de la discorde:
Dans
une tribune publiée en décembre dernier, les patrons de plusieurs
enseignes (dont Cultura, Decitre ou Le Furet du Nord) se sont dits
«révoltés» de l'obtention par Amazon d'aides publiques d'un montant de
plus d'un million d'euros pour le recrutement de 250 salariés affectés à
son futur entrepôt logistique du Nord-Pas-de-Calais, subventions qui
viendraient s'ajouter à celles perçues pour son site de Saône-et-Loire.
Une situation qui a aussi suscité l'ire d'Alexandre Bompard, le patron
de la Fnac, qui dénonce les «pratiques hégémoniques et le dumping fiscal
et réglementaire» du géant américain de l'e-commerce. Les collectivités
locales devraient confirmer ces aides. Mais l'affaire cristallise la
haine des petits libraires contre le grand méchant américain. Amazon est
notamment accusé de pratiquer une remise interdite et de contourner la
loi sur le prix unique en ne facturant pas les frais de port. Le
Syndicat de la librairie française l'a attaqué en justice. Il a gagné en
première instance, mais Amazon a fait appel.
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