D'ambassadeur de la marque Belvédère, Bruce Willis en est devenu le premier actionnaire.
Le sort de l'entreprise bourguignonne de vins et spiritueux en redressement judiciaire se joue lors de l'assemblée générale du 12 février. Il est en grande partie entre les mains de l'acteur Bruce Willis.
Hôtel Four Seasons, Beverly Hills. Douzième étage. L'agitation est digne de cette scène du film Coup de foudre à Notting Hill,
lorsque Hugh Grant se fait passer pour un journaliste afin d'approcher
Julia Roberts. Sauf que la star révélée au détour d'un couloir, c'est Bruce Willis.
Et l'intrus qui perturbe la chorégraphie minutée entourant la promotion de Die Hard 5, c'est Christophe Trylinski, le PDG polonais de Belvédère, une entreprise bourguignonne de vins et spiritueux en redressement judiciaire.
Casting improbable, pourtant la star planétaire tombe dans les bras de
son «buddy». Lequel n'en mène pas bien large, malgré sa carrure
d'armoire à glace.
Certes, cela fait plus d'un an que Belvédère,
dont les finances sont sur le gravier, ne parvient plus à payer le
prestigieux ambassadeur de sa marque vedette, la vodka Sobieski. La
firme doit 20 millions d'euros à Bruce Willis, qui est par ailleurs son
premier actionnaire avec près de 3 % du capital.
À quelques jours d'une assemblée générale décisive,
le dirigeant est venu s'assurer du soutien de l'acteur. Le 12 février,
en effet, les actionnaires de Belvédère auront sur leurs boîtiers de
vote le sort du propriétaire de l'anisette Marie Brizard et de William
Peel, le whisky le plus vendu en France. L'administrateur judiciaire
Frédéric Abitbol a prévenu les actionnaires: soit les petits porteurs
approuvent le plan de restructuration négocié avec les créanciers, au
prix d'une «dilution importante mais nécessaire», soit c'est la
liquidation quasi assurée, synonyme d'Armageddon financier pour
l'entreprise de 3400 salariés.
Or, la messe est loin d'être dite.
Nicolas Miguet, le pugnace président de l'Arare (Association pour la
représentation des actionnaires révoltés), fait campagne contre
l'accord qu'il voit comme un «passage en force». «Lors de la dernière
assemblée générale, je représentais plus de 90 % des votes», rappelle
le journaliste boursier, ravi du récent ralliement d'Alain-Dominique
Perrin, l'ancien patron de Cartier, démissionnaire du conseil
d'administration de Belvédère.
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Boire et déboires:
Un énième
rebondissement dans l'histoire rocambolesque de Belvédère qui a de quoi
faire pâlir d'envie tout scénariste de thriller financier. En 2009, la
revue sectorielle Impact classait le petit poucet de Beaune, parti de rien en 1991, au 10e rang des groupes de spiritueux dans le monde. Mais la fête a tourné court.
Jacques Rouvroy et Christophe Trylinski, les deux fondateurs, ont vu
leurs actions Belvédère saisies et leurs biens hypothéqués par les
divers financiers auprès desquels ils se sont endettés à titre personnel
dans leur course à la taille. Ironie suprême, après une rasade
d'imbroglio juridique avec une distillerie en Pologne et un shot
d'empoignade musclée avec un importateur américain, le groupe Belvédère
n'a plus aucun lien avec la vodka éponyme, désormais fleuron du groupe
LVMH. «Si Camus doit vendre les droits de La Peste, c'est quand même lui
qui l'a écrit», soupire Christophe Trylinski qui explique, en roulant
les «r»: «Après la chute du mur de Berlin, quand j'ai dit que je voulais
vendre la vodka au prix du cognac, tout le monde m'a traité de fou.
Pourtant, le luxe représente maintenant 15 % du marché des vodkas dans
le monde.»
Au début des années 1990, l'ingénieur aéronautique
vient d'être engagé à Chalon-sur-Saône, comme… joueur de handball. Sa
rencontre avec Jacques Rouvroy, négociant en vin, détermine son destin.
En 1991, ils créent Belvédère. «Rouvroy s'occupait des finances, moi du
business», regrette Christophe Trylinski qui a pris seul les rênes en
2011. Son obsession à lui, ce sont les marques, avec la conviction que
le flacon importe autant que l'ivresse. Chopin, Belvédère, Sobieski,
Krupnik, il lance des vodkas avec la même aisance que Bruce Willis sauve
le monde.
Piège en eaux troubles:
Au point qu'en 2009 l'entrepreneur
fonceur croit que John McClane peut l'aider à sortir du piège de la
dette dans lequel Belvédère est tombé. À l'époque, le groupe est engagé
dans une guerre totale, allant des tribunaux français aux supermarchés
polonais, avec le fonds d'investissement Oaktree Capital. Le financier,
propriétaire d'une vodka concurrente en Pologne, a racheté une grande
partie des 375 millions d'euros de dette financière émise par Belvédère
en mai 2006, afin de financer le rachat du groupe Marie Brizard. Ces
obligations ne doivent être remboursées qu'en 2013. Sauf si l'émetteur
fait un faux pas. Or, le roi de l'alcool blanc a multiplié les acrobaties financières.
En 2008, patatras, Belvédère enfreint une des clauses de son contrat
et Oaktree Capital exige le remboursement anticipé de sa créance.
Christophe
Trylinski a alors un plan. Développer à marche forcée Sobieski afin de
la céder au prix fort et indemniser Oaktree. Pour doper les ventes, rien
ne vaut l'appui médiatique d'une célébrité. Une liste est établie où
figure Bruce Willis, mais aussi Jack Nicholson ou Nicolas Cage. En avril
2009, le héros de Clair de lune devient l'ambassadeur de Sobieski pour quatre ans.
De
passage à Paris au mois d'octobre, la star accepte même, dans la
limousine qui l'emmène du siège de Marie Brizard, à Ivry, au restaurant
de Guy Savoy dans le XVIIe, un paiement en actions pour ses prestations.
Certes, la facture est salée. «Pas tant que cela. La marque Three Olive
Vodka vient de débourser 20 millions de dollars pour utiliser l'image
de l'acteur Clive Owen, relativise Christophe Trylinski. Grâce à Bruce
Willis, Sobieski a très vite vendu plus de 1 million de caisses aux
États-Unis.»
Las, le plan a échoué. Après quatre ans de guérilla
judiciaire, Christophe Trylinski se prépare à donner les clés de
Belvédère à ses créanciers, Oaktree en tête, mais y figure également un
Bruce Willis très impliqué. «J'ai été étonnée qu'il participe en
personne à des conversations téléphoniques que nous avons organisées
pour faire le point sur le dossier», relate son avocate en France,
Stéphanie Chatelon, associée du cabinet Taj. L'acteur n'a rien d'un
samaritain, mais il a noué une vraie complicité avec le colosse
charismatique dans les distilleries polonaises où l'a conduit son rôle
d'ambassadeur de Sobieski. L'enfer, ils connaissent bien tous les deux.
Bourse:
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