L'agence de notation Standard & Poor's, à New York.
Les autorités fédérales réclament 5 milliards de dollars à l'agence de notation, traduite devant un jury populaire.
Cinq ans après l'éclatement de la bulle des «subprimes», qui s'est
soldé par 2 100 milliards de dollars de pertes pour les investisseurs à
travers le monde, l'État américain traîne pour la première fois une
grande institution de Wall Street devant les tribunaux. Pas une banque,
mais une agence de notation, Standard & Poor's,
qui a distribué jusqu'en 2008 son label de qualité à des dizaines
d'obligations toxiques, adossées à des prêts à des foyers surendettés.
À
défaut d'engager un procès pénal, les procureurs fédéraux l'attaquent
au civil et, avec leurs collègues de seize États américains, lui
réclament plus de 5 milliards de dollars, soit plus de cinq fois ses
profits réalisés en 2011!
Un jury populaire à Los Angeles devra
déterminer si S & P a délibérément menti et caché les risques de ces
obligations et produits dérivés dans le but de s'enrichir et de gruger
des milliers d'investisseurs.
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À ce jour, aucune banque américaine
n'a été inculpée et condamnée de fraude devant un tribunal pénal pour
son rôle dans la crise financière de 2008. Certaines ont cependant dû
dédommager leurs clients, comme Bank of America à laquelle les dérives de sa filiale Countrywide ont coûté des dizaines de milliards de dollars. Et Goldman Sachs
a dû verser en juillet 2010 une amende record de 550 millions de
dollars pour mettre un terme à des poursuites civiles intentées par
l'autorité fédérale de réglementation financière qui l'accusait d'avoir
caché à ses clients les risques d'obligations gagées sur des créances
immobilières douteuses.
S & P semble plus vulnérable que les
grandes banques aux accusations de fabrication délibérée jusqu'en 2008
de produits toxiques, distribués sous des labels de qualité allant
jusqu'au fameux «AAA». Les enquêteurs ont accumulé depuis des mois des
documents, témoignages et copies de messages électroniques, illustrant
les mises en garde dès 2004 de responsables de S & P sur la
nécessité de changer les modèles de prévision de défauts d'obligations
pour tenir compte de la détérioration du marché immobilier. Ces
avertissements, de nature à pousser les banques, clientes de S & P,
vers ses concurrents Moody's et Fitch,
ont été en tout ou partie ignorés. L'aveuglement a conduit par exemple à
la notation AAA en mai 2007 de 772 millions de dollars d'obligations
conçues par Citigroup qui, dix mois plus tard, tombaient en défaut.
Le
jury est susceptible d'être choqué par un mémorandum confidentiel de
2006 dans lequel un cadre de S & P juge que «le marché est une
toupie devenue folle et ça va mal finir». En 2007, un analyste de
l'agence confiait à un collègue: «Au boulot tout va bien. Mis à part le
fait que le marché des obligations adossées à des hypothèques
s'effondre, que les investisseurs et les médias nous détestent et que
nous courrons partout pour sauver la face… tout va bien.» Un autre
ironisait la même année: «Nous donnons une note à tout. Un produit
pourrait être conçu par une vache et nous le noterions.»
Mesure de représailles:
Pour
autant, S & P ne manque pas d'arguments. «Toutes les obligations
citées par le département de la Justice dans sa procédure ont reçu de
nous les mêmes notations que celles octroyées par un concurrent», relève
l'agence dans une allusion implicite à Moody's qui n'est pas
poursuivie.
Le couperet serait-il tombé sur S & P en
représailles à la dégradation de la note souveraine des États-Unis qui,
en août 2011, ont perdu leur AAA chez cette seule agence? Le département
de la Justice le dément. La procédure ne serait déclenchée contre
l'agence que parce que de longues négociations avec les autorités
fédérales ont échoué. Elles portaient sur une amende de plus d'un
milliard de dollars et une reconnaissance de culpabilité que S & P
refuse.
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