Mark Zuckerberg lors de l'introduction de Facebook en Bourse le 18 mai.
Comment la plus grosse introduction en Bourse de l'histoire a mal tourné. Mark Zuckerberg, patron du réseau social, est vivement critiqué.
Il est 11 h 44 à New York, ce 18 mai 2012. Tout Internet, des dizaines de chaînes de télévision, les badauds de Times Square et une partie de Wall Street ont les yeux rivés sur le Nasdaq. Facebook vient de faire ses premiers pas en Bourse. Quand soudain, l'action décroche. Après avoir brièvement flirté avec les 45 dollars, le cours tombe à 38 dollars, son prix d'introduction, en quelques minutes. Un frisson parcourt les salles de marchés, les plateaux de télévision et Twitter. Est-on en train d'assister à l'éclatement d'une deuxième bulle Internet? La suspension de l'action Zynga au même moment ne fait que nourrir cette angoisse. L'éditeur de jeux pour réseaux sociaux, dont le modèle économique est étroitement lié à Facebook, a perdu 13 % en moins de cinq minutes.
La stupéfaction est générale. Deux heures et demie plus tôt, Mark Zuckerberg, le jeune patron et cofondateur du réseau social aux 901 millions de membres, avait sonné l'ouverture du Nasdaq depuis le siège de Facebook à Menlo Park, en Californie. Alors que la star des réseaux et son adjointe, Sheryl Sandberg, sautaient de joie en frappant dans leurs mains, le débat sur les chaînes de télévision et dans les forums de boursicoteurs portait sur la question: «De combien l'action va-t-elle bondir? 10 %, 20 %, 50 %?» Des millions d'investisseurs pariaient sur une hausse de l'action qui leur aurait permis de réaliser une plus-value rapide en revendant leurs titres quelques minutes après les avoir achetés.
De surprise en surprise:
Or, une partie des réponses se trouvent dans les semaines qui ont précédé cette désarmante introduction en Bourse. Wall Street et «Zuck» sont partis du mauvais pied dès le 7 mai. Facebook démarre son roadshow à New York. Des centaines d'investisseurs sont arrivés une heure avant l'ouverture des portes devant l'hôtel Sheraton. Mark Zuckerberg est accueilli par une nuée de photographes et de caméras. Il porte son légendaire sweat-shirt à capuche. Un accoutrement qui choque certains analystes. «Un signe d'immaturité et un manque de respect», juge l'un d'eux. Pour d'autres, cela montre que le jeune patron ne changera pas, même si son entreprise est cotée. «Je le referai», répond ainsi Mark Zuckerberg lorsqu'on l'interpelle sur le récent rachat d'Instagram pour 1 milliard de dollars, conclu sans l'avis du conseil d'administration. Le lendemain, à Boston, le jeune homme n'est déjà plus là pour répondre aux questions des investisseurs. Peu professionnel.Mark Zuckerberg porte son traditionnel sweat-shirt à capuche qui n'a cessé de faire polémique.
Ces derniers ne sont pas au bout de leurs surprises. Le 9 mai, Facebook dépose une ultime mise à jour de son document préparatoire à l'introduction en Bourse (dit «S-1») auprès de l'autorité américaine des marchés financiers. Un paragraphe interpelle les observateurs. Facebook y confirme une tendance observée au premier trimestre: «Les utilisateurs quotidiens progressent plus rapidement que le nombre de publicités.» «Nous pensons que cette tendance est tirée en partie par un usage croissant de Facebook sur les terminaux mobiles, où nous n'avons que récemment commencé à afficher un petit nombre de messages sponsorisés», prévient alors la société.
Cette révélation contient une bombe à retardement qui explosera au lendemain de l'introduction en Bourse. Pour l'heure, elle conduit les analystes, y compris ceux des banques chargées de distribuer les titres Facebook (Morgan Stanley, JPMorgan et Goldman Sachs), à réviser leurs prévisions de croissance à la baisse. Ces dernières auraient même été guidées par une source interne à Facebook, croit savoir la presse américaine. Ces révisions, transmises «oralement» à certains investisseurs institutionnels, sont de nature à faire baisser l'appétit pour des actions Facebook. Dommage pour tous ceux qui n'étaient pas initiés.
Cet aléa industriel ne semble pas entamer la confiance en Facebook. Le 10 mai, une dépêche Reuters annonce fort opportunément que l'offre est déjà «sursouscrite». Quatre jours plus tard, le réseau social relève sa fourchette de prix. Les investisseurs doivent se préparer à lâcher entre 34 et 38 dollars par action. La valorisation du réseau social franchit le cap symbolique des 100 milliards de dollars.
BMW toute neuve:
La folie des grandeurs gagne le réseau social. Ou du moins son directeur financier. David Ebersman, 41 ans, est l'homme à la manœuvre depuis plusieurs mois sur cette opération. Avec Michael Grimes, le banquier de Morgan Stanley en charge du secteur high-tech, il s'active pour tirer le plus grand parti possible de la frénésie qui entoure cet événement. Trois jours avant l'introduction en Bourse, David Ebersman décide carrément d'augmenter de 25 % le nombre de titres mis en vente. Qu'importe que General Motors annonce alors le retrait de 10 millions de dollars d'investissements publicitaires de Facebook, faute de résultats convaincants.C'est encore lui qui décide, avec Michael Grimes, de fixer le prix de l'action à 38 dollars. Il sonde ensuite Goldman Sachs et JPMorgan, qui assurent que cela ne rebutera pas les acheteurs. Enfin, lors d'une conférence téléphonique, le conseil d'administration de Facebook valide le prix. En étant aussi gourmands, Facebook et Morgan Stanley prennent un grand risque. L'action a plus de chance de chuter que de s'envoler. Mais le but a été atteint pour les dirigeants, les employés et les actionnaires financiers comme Accel Partners. Ils sortent gagnants de l'affaire.
La veille de l'introduction en Bourse, certains employés de Facebook ont déjà anticipé le jackpot. À la station-service qui jouxte le siège de la société, un jeune employé étrenne une BMW toute neuve. Il s'est échappé du «hackathon» organisé par Facebook dans la nuit de jeudi à vendredi: pendant 12 heures, les employés imaginent et développent des services comme lors d'un vaste marathon du codage. «Une façon pour Mark Zuckerberg de leur rappeler qu'ils doivent rester concentrés sur leur travail, alors que certains auraient pu être tentés de partir avec leur chèque», confie un proche d'un employé.
Rouges de honte:
Ironie du sort, alors que les informaticiens de Facebook finissent leur nuit de folie, le système informatique du Nasdaq a des ratés. La cotation du titre «FB» prend du retard. Attendu à 11 heures, le titre est introduit quarante-quatre minutes plus tard.Rouges de honte d'avoir sabré le champagne trop tôt devant des millions de téléspectateurs, les dirigeants du Nasdaq ont fini par expliquer que ce chaos résultait de l'incapacité initiale de leur système à traiter des millions d'ordres d'achat partiellement annulés quelques minutes plus tard. Les 80 millions d'échanges des trente premières secondes de cotation ont été souvent incohérents. En découvrant avec surprise qu'ils allaient obtenir bien plus de titres qu'ils ne l'avaient anticipé, nombre d'institutionnels ont en effet cherché à annuler des ordres. Ces instructions contradictoires ont engorgé les ordinateurs. Beaucoup en ont alors déduit que la demande était bien plus faible que prévu. Un malentendu à plusieurs dizaines de millions de dollars qui a conduit certains investisseurs à attaquer le Nasdaq.
Face aux révélations toujours plus rocambolesques, l'autorité des marchés financiers (SEC) a annoncé l'ouverture d'une enquête. L'instance d'autorégulation de Wall Street s'interroge, elle, sur l'information des investisseurs après la révision des prévisions de croissance. De nombreux procès en action collective guettent Facebook et ses banquiers.
Pourtant, les acheteurs déçus avaient été largement prévenus. Il suffisait de lire le technique et rébarbatif «prospectus» pour comprendre ce que Facebook recherchait. Ce document officiel résume les objectifs de Mark Zuckerberg. Dans sa lettre aux actionnaires potentiels, le cofondateur expliquait: «Nous nous introduisons en Bourse pour nos employés et nos investisseurs.» Écrit par des dizaines de banquiers et relu par des dizaines d'avocats, le «prospectus» mettait explicitement en garde les épargnants contre les risques de chute du titre dès sa première cotation. Cet avertissement va protéger Facebook et ses banquiers de beaucoup de poursuites engagées contre eux ces derniers jours.
Emportés par l'incroyable machine médiatique orchestrée par l'entourage de Mark Zuckerberg, grands ou petits, institutionnels ou individuels, se sont rués vers leur courtier plusieurs jours à l'avance. Tous avaient l'espoir d'arracher, dès la première cotation, une poignée d'actions de la société qui «est en train de définir la génération actuelle, et la manière de communiquer des Terriens au XXIe siècle», pour reprendre l'expression d'un commentateur surexcité de la chaîne financière CNBC.
Mariage en costume:
Depuis le début de cette affaire, le silence de Mark Zuckerberg est assourdissant. Sa dernière apparition publique remonte au 19 mai. Le patron de Facebook met en ligne une photo de lui, en costume (!), à l'occasion de son mariage avec sa compagne Priscilla Chan. Son attitude en dit long sur sa conception de sa relation avec ses actionnaires. Mais Mark Zuckerberg conserve personnellement 56 % des droits de vote dans sa société. Cette position de force le protège de la pression des investisseurs extérieurs. Il n'a finalement guère de compte à rendre.Mark Zuckerberg lors de son mariage avec Priscilla Chan, le lendemain de l'introduction en Bourse de Facebook.
Même discrétion chez les employés du plus grand réseau de communication du monde qui se refusent à commenter l'affaire. Comme si de rien n'était, l'entreprise, elle, continue de faire des annonces jour après jour: une acquisition dans le mobile d'abord, le lancement d'un nouvel outil publicitaire ensuite, et enfin, une nouvelle application mobile pour prendre et partager des photos. «Business as usual».
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