En pratique, la Grèce ne contrôle plus son destin.
Alors que le chef de l'Etat grec se réunit avec les chefs de partis dimanche, l'économiste Alexandre Delaigue estime que l'argument d'une sortie de la zone euro risque de se retourner contre tout le monde.
Co-auteur du livre «Nos phobies économiques», Alexandre Delaigue enseigne actuellement l'économie à l'école militaire de Saint Cyr Coëtquidan.
Après le refus du chef de la gauche radicale de soutenir un gouvernement de coalition, le chef de l'État grec recevra les dirigeants des partis dimanche pour éviter la sortie du pays de la zone euro.
notre site: L'impasse électorale en Grèce accroît-elle le risque d'un défaut?
Alexandre Delaigue:
Après la Nouvelle démocratie (centre droit), qui soutient le programme
d'austérité, l'extrême-gauche Syriza a échoué à former un gouverment et
c'est au PASOK d'essayer désormais... S'il n'y parvient pas, la
constitution est assez claire: les grecs seraient de nouveau appelés aux
urnes, éventuellement dès juin. Mais quel que soit le gouvernement, en
pratique l'abandon de souveraineté est largement effectif puisque l'aide
au pays n'est pas versée directement mais sur un compte sous séquestre.
L'Europe peut s'assurer que les sommes soient utilisées prioritairement
pour payer les créanciers.
Beaucoup de partis menacent pourtant de dénoncer l'accord de prêt liant Athènes à ses bailleurs de fonds…
La
situation s'apparente un peu à la crise des missiles de Cuba: on
observe une escalade de la rhétorique et les observateurs décrivent la
situation comme au bord du gouffre… Or prendre le risque d'une situation
très dangereuse fait partie intégrante de la négociation. Comme en 1962
entre l'URSS et les États-Unis, nul n'a intérêt à ce que la catastrophe
ne se produise, mais chaque camp utilise la menace de cette catastrophe
pour essayer d'avancer ses intérêts. Le drame c'est qu'il y a un effet
performatif à évoquer la sortie de la zone euro: plus les gens y
croient, plus la probabilité augmente.
En fait qu'est-ce que cherchent à obtenir les Grecs et les autres européens dans ce bras de fer?
Pour
l'éventuel prochain gouvernement grec, il s'agit d'obtenir des termes
plus favorables, de demeurer dans la zone euro mais en diminuant les
engagements que l'Europe lui réclame en échange de son aide. Dans ce
bras de fer, de prime abord le rapport de forces semble en faveur de la
troïka (composée de la BCE, du FMI et de l'Union européenne). Mais une
sortie de la Grèce de la zone euro instituerait un précédent dont les
conséquences sont difficiles à mesurer: est-ce que d'autres pays
pourraient lui emboîter le pas plutôt que de se résoudre à l'austérité?
Au bout du compte cela ébranlerait la crédibilité de l'euro. En outre
l'Europe ne peut pas forcer le pays sortir de la zone pour éviter
d'avoir à financer sans fin le budget grec, sans apparaître comme le
méchant de l'histoire. D'un autre côté, les Grecs comprennent bien que
le pays serait précipité dans une situation chaotique ; cela deviendrait
probablement un contre-exemple pour inciter les autres à faire des
efforts.
Dans quelles conditions peut-on envisager une faillite et une sortie de l'eurozone?
Même
si demain vous passiez l'éponge sur la totalité de la dette, le budget
grec reste en situation de déficit primaire qui n'est pas près de se
résorber: c'est-à-dire que même en gommant les intérêts de sa dette, les
dépenses du pays dépassent nettement ses ressources. La Grèce aurait
donc toujours besoin d'aide financière. Ce serait pire si elle annulait
unilatéralement sa dette actuelle, elle se couperait encore plus (si
c'est possible) des marchés. Privé d'aide, le gouvernement serait
contraint de mettre en route la planche à billets et on assisterait à
une forte dévaluation du drachme. Pour un si petit pays, qui importe
beaucoup de biens, cela renchérirait fortement les prix. Et très
concrètement, on voit mal comment cela se passerait: il y aurait non
seulement une fuite des capitaux à l'étranger mais une désorganisation
totale du pays, avec l'armée devant chaque banque pour éviter les
émeutes de gens voulant retirer leurs économie en euros avant le
changement.
Citant l'exemple de l'Argentine, qui après
avoir essayé l'austérité semble avoir tiré parti de sa faillite en 2001
pour rebondir, certains estiment néanmoins qu'un défaut de paiement
serait à terme la meilleure solution.
Attention à ne pas
surestimer la stratégie argentine. D'une part, le pays disposait de sa
propre monnaie fiduciaire, elle n'a eu «qu'à» abandonner l'indexation au
dollar et dévaluer son peso - ce qui n'a pourtant pas été sans heurts.
D'autre part, l'Argentine a bénéficié du boom des matières premières
notamment agricoles pendant la décennie suivante: cela a bien aidé sa
balance commerciale, lui permettant de se financer assez aisément avec
les taxes sur exportations. La Grèce, elle, exporte surtout du tourisme:
or augmenter fortement les recettes touristiques n'est pas aussi facile
que d'augmenter les exportations de soja ou de bœuf ; il faut pouvoir
investir dans les infrastructures pour augmenter votre offre hôtelière.
Si vous vous trouvez dans une situation économique difficile accompagnée
de troubles sociaux, vos produits agricoles trouveront toujours preneur
sur les marchés internationaux: en revanche pour attirer les touristes
ce n'est pas idéal.
Bref, la situation est bloquée de part et d'autre, mais personne ne peut le dire…
Vis-à-vis
de l'électorat européen c'est doublement perdant. Une frange de vos
électeurs va juger insupportable de payer pour les Grecs. Une autre va
accuser l'Europe de néocolonialisme vu l'impopularité des mesures
d'austérité. Pourtant le plus probable est que l'Europe va devoir
soutenir la Grèce pendant longtemps. Quant aux grecs il n'ont guère
d'alternatives que de poursuivre des mesures rigoureuses pour améliorer
la compétitivité de leur économie, ce qui prendra énormément de temps.
Ce n'est pas un discours qui peut être tenu en l'état…
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