Depuis des mois, l'opinion publique américaine, déchaînée contre les excès de la finance, attendait une mesure de régulation forte du secteur bancaire. Elle vient de l'obtenir.
La décision de Barack Obama, jeudi 21 janvier, de limiter la taille des banques, en les réorientant vers le financement de l'économie réelle, marque un tournant dans la gestion de l'après-crise. Jusqu'à présent, l'administration américaine avait opté pour des mesures plus financières - et symboliques - que structurelles, comme la création d'une taxe destinée à recouvrer l'aide publique accordée aux cinquante principales banques pendant la crise.
Cette fois, le président des Etats-Unis s'attaque au coeur du modèle financier américain. A des banques qui, pour augmenter leur rentabilité à des taux records et artificiels - jusqu'à 30 %, 40 % de leurs fonds propres, quand la rentabilité "réelle" s'établit plutôt autour de 10 % -, ont joué leur argent sur les marchés et perdu de vue leur fonction première : collecter des dépôts et accorder des crédits aux ménages et aux entreprises.
Les investisseurs financiers ne s'y sont pas trompés, qui ont fait plonger les Bourses mondiales, de Wall Street à Tokyo, après la prise de parole de M. Obama. Moins de spéculation - et de prises de risques - signifie moins de profits à court terme pour les actionnaires.
Certes, l'annonce choc de M. Obama a un objet d'abord politique. Sur la défensive après l'élection perdue du Massachussetts, au profit du sénateur républicain Scott Brown, et en difficultés sur sa réforme du système de santé, le président américain reprend la main. Aux Américains qui, démocrates comme républicains, lui reprochent une certaine complaisance envers les banques, il donne des gages. Il place du même coup les républicains qui souhaiteraient s'opposer à de ces réformes populaires en porte-à-faux, les obligeant, le cas échéant, à voter contre l'opinion publique.
Il n'empêche. S'il aboutit sans changement majeur après son passage devant le Congrès, le plan Obama va modifier la physionomie du secteur bancaire. Trois grandes mesures sont annoncées, qui reviennent à changer la nature des banques américaines : la limitation de la taille de leurs actifs, une petite révolution au pays des mastodontes financiers ; l'interdiction de s'adonner à la spéculation "pour compte propre", pour les banques collectant des dépôts, une pratique généralisée outre-Atlantique ; enfin, l'interdiction, toujours pour les établissements recueillant l'épargne des particuliers, de posséder des fonds d'investissement spéculatifs, ou de les financer, ce que font, là encore, toutes les grandes banques américaines.
Cette série d'interdits ne va pas jusqu'au rétablissement du Glass-Steagall Act de 1933, cette loi bancaire américaine adoptée après la crise de 1929 qui, pour réduire les risques, avait instauré une stricte séparation entre banque de dépôts et banques d'investissement. Le texte, abrogé en 1999, ne correspond plus à la réalité du marché mondial. Tous les établissements financiers ont adopté un modèle d'activités mixtes.
Cependant, le plan Obama s'inspire de l'ancienne loi bancaire. L'idée du président, conseillé par l'un des partisans du retour du Glass-Steagall Act, l'ex-président de la Réserve fédérale (Fed) Paul Volcker, est bien de prohiber la spéculation dans des établissements qui bénéficient de la garantie publique de l'Etat fédéral. On est au coeur du débat sur le "too big to fail", ce principe qui contraint les Etats à sauver de la faillite les institutions dont la chute déstabiliserait tout le système. Les banques de dépôts devront faire un usage prudent et précautionneux de leur capital. C'est, selon M. Obama, la première protection avant la garantie publique.
De leur côté, les fonds spéculatifs, qui investissent en Bourse en s'endettant et sont vus depuis la crise comme d'importants foyers de risques, feront les frais de la réforme. Le plan Obama leur coupe les vivres, quand tous sont adossés à des banques ou financés par elles. Si les gestionnaires d'actifs mettent déjà en garde contre l'effondrement de ce marché, l'après-crise a montré que l'économie mondiale peut vivre avec des fonds amaigris. La masse d'argent qu'ils gèrent s'est dégonflée de 600 milliards de dollars depuis 2008 mais ils ont remboursé leurs clients, fût-ce difficilement.
L'onde de choc déclenchée outre-Atlantique par le plan Obama, qui mobilise contre lui le puissant lobby financier, s'est propagée en Europe. Certains dirigeants politiques, comme la ministre de l'économie française, Christine Lagarde, se sont félicités de l'adoption d'un plan anti-bulles financières, montrant que "la régulation, (...) un mot tabou qui était difficile à employer aux Etats-Unis (...), est déterminante pour limiter les excès". D'autres, comme son homologue britannique Alistair Darling, s'en sont inquiétés : "Ces propositions, dit-il, risquent de nuire au consensus international."
Tous restent prudents. De fait, si le plan est adopté, du fait de la force d'entraînement des Etats-Unis, l'Europe n'aura d'autre choix que de se mettre au diapason. Or, parce qu'elle compte moins de banques "systémiques", et que leurs activités sont moins spéculatives, la voie américaine semble peu appropriée. C'est du moins l'avis des régulateurs, qui privilégient un renforcement des fonds propres des banques et essaient d'élaborer, pour les plus grands établissements, "un indicateur fiable de leur nocivité".
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