Après les promesses des dirigeants de banques françaises, assurant que les bonus délirants distribués pendant les "années folles", de 2000 à 2007, n'auraient plus cours, voici venue l'heure de vérité. Mercredi 10 mars, dans la tour du quartier d'affaires de la Défense, la Société générale a révélé à ses traders le montant de leurs primes pour 2009. Sa rivale BNP Paribas l'avait précédée d'une semaine. Le Crédit agricole suivra à la fin du mois.
Bilan ? En valeur absolue, les primes restent très élevées. Au total, quelque 7 750 traders se partagent 1,75 milliard d'euros. Ceux de BNP Paribas se voient octroyer 250 000 euros de bonus moyen, en plus de leur salaire, contre 245 000 euros au Crédit agricole, 213 462 euros à la Société générale et 130 667 euros chez Natixis. Comparé au salaire net moyen annuel des Français (24 000 euros en 2007), ces primes représentent entre cinq et dix années de travail.
Les sommes paraissent particulièrement élevées chez Natixis, la petite banque d'affaires du groupe BPCE (Banques populaires-Caisses d'épargne) encore en pertes en 2009 et toujours sous perfusion de fonds publics. Selon les experts, les bonus versés en 2010 sont inférieurs de 15 % à 20 %, en moyenne, à ceux de 2007, une année record souvent prise en référence, mais supérieurs de 20 % à 40 % à ceux de 2008, année du krach boursier.
"On revient, en fait, à des niveaux comparables à 2005, qui n'était pas la meilleure année mais pas la pire non plus", calcule Thierry Carlier-Lacour, du cabinet de chasseur de têtes spécialisé dans le recrutement de traders à Paris et à Londres, Nicholas Angell.
Faut-il en déduire que les banques reviennent peu à peu à leurs anciennes pratiques ? Pas tout à fait. Si les montants restent spectaculaires, les établissements ont mis en place les nouveaux principes de rémunération fixés par le G20, avec, affirment leurs autorités de tutelle, plus de rigueur que leurs consœurs britanniques ou pis, américaines.
La partie des bonus versée cash, c'est-à-dire au comptant, est bien moindre qu'avant la crise ; celle différée est à la fois plus importante et aléatoire, versée sous conditions de performances.
"ÇA RESTE ÉNORME"
"C'est un énorme progrès. Auparavant, tout était payé rubis sur l'ongle ! Tout était dû !", commente un dirigeant de banque. Un autre confirme : "L'heure est à la modération. Les banques françaises distribuent une moindre part des revenus des activités de marchés à leurs traders." Chez BNP Paribas, ce taux de distribution (les bonus rapportés aux revenus des marchés) a été ramené de 20 % avant-crise (dont 18 % versés cash) à moins de 12 % aujourd'hui (dont 6 % versés cash).
Pour autant, ce retour à plus de raison ne signifie pas la disparition des gros bonus pour les traders stars, basés à Londres. "Les meilleurs toucheront 10 millions d'euros. Ça reste énorme. Mais ils n'auront qu'un million en cash, tout de suite", indique Diane Segalen, du cabinet de chasseurs de têtes CT Partners.
Le reste leur sera distribué au cours des trois prochaines années – sauf départ contraint de la banque –, et si et seulement si les performances sont au rendez-vous. Ainsi, selon nos sources, chez BNP Paribas, en dépit de gros profits dans les activités de marchés en 2009, aucun des bonus versés au comptant n'a dépassé le million d'euros.
De plus, toujours chez BNP Paribas, une grosse partie des primes différées est versée en "swaps", des instruments qui donnent droit à des actions en 2011, 2012 et 2013. "Les traders ne sont pas contents de cela, à tel point que la BNP envisagerait de changer de méthode", observe Mme Segalen.
Dans les salles de marchés, la frustration est palpable. A la Défense, au siège de la Société générale, "l'ambiance n'est pas terrible, commentait, mercredi, une opératrice. C'est la guéguerre entre ceux qui sont parvenus à défendre leurs intérêts et les autres". "Les meilleurs ont parfois pu doubler ou tripler leur salaire fixe pour afficher un bonus acceptable aux yeux du G20 mais la plupart touchent moins", indique-t-elle.
Les équipes de banques françaises employées à Londres sont sans doute les plus agacées. Contrairement à l'affichage public, les autres établissements n'ont pas vraiment révisé leurs politiques. Certains, comme Morgan Stanley, sont même accusés de pratiques déloyales, offrant des bonus garantis de plus d'un an, prohibés par le G20.
Un trader de la City employé chez Nomura, la banque qui a repris Lehman Brothers, se dit "plutôt content" de la somme qu'il touchera. Tandis que "ceux de la Générale sont déçus. J'ai l'impression que le gouvernement français a mis la pression", remarque-t-il.
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