L'immeuble « Le Dôme » dans lequel se trouve le comité d'entreprise de la compagnie Air France à Roissy.
Un audit accablant des comptes du comité central d'entreprise de la compagnie doit être publié ce lundi. Il doit mettre en lumière un trou de plus de 20 millions d'euros dans les comptes, et des dépenses non justifiées. «Nous allons regarder ça de très près et demander des explications au président d'Air France», a réagi le secrétaire d'Etat aux Transports, Dominique Bussereau.
Des élus du CCE d'Air France ont eu l'ivresse des sommets. Selon nos informations, un audit des comptes doit être dévoilé ce lundi aux dirigeants de ce super-comité d'entreprise qui regroupe les huit comités d'établissement de la compagnie (voir ci-dessous). Il y aurait un trou inexpliqué de 21 à 24 millions dans les caisses imputable à l'équipe en place de mars 2007 jusqu'au 3 novembre dernier, ainsi que des dépenses fastueuses dont la justification n'a pas été prouvée.
Dominique Bussereau a d'ores et déjà fait savoir lundi matin que le gouvernement allait demander des explications à la direction de la compagnie, dans le capital de laquelle, l'Etat n'est plus majoritaire. «C'est le moment où nous souhaitons que le transport aérien reparte et ce n'est pas le moment de mettre sur la place publique ce genre de choses. S'il y a un problème, il faut qu'il soit réglé rapidement», a ajouté le secrétaire d'Etat.
Cinq ans après le scandale qui a éclaboussé le comité d'entreprise d'EDF, il semblerait que celui d'Air France s'apprête à vivre des heures difficiles. «Depuis plusieurs années, le million d'euros est l'unité de base, explique une source proche du dossier. Des millions ont été dépensés sans justification. Nous essayons de comprendre à quoi de telles sommes ont pu servir.»
L'affaire a éclaté en interne cet été lorsque le secrétaire général du CCE, François Cabrera de la CFDT, décide de contracter un prêt hypothécaire de 17 millions d'euros pour finir l'année et payer les salaires des 1.000 salariés du CCE. Débouté par son conseil d'administration, il décide de se tourner vers la compagnie aérienne et sollicite une avance de trésorerie. Un procédé fréquent depuis plusieurs années. En décembre 2008, Air France a déjà consenti une avance de 10 millions d'euros. La compagnie accepte à nouveau de mettre au pot à hauteur de 10 millions en novembre dernier pour éviter à son CCE de se retrouver en cessation de paiement.
«Des sommes fictives dans les comptes 2008»
Alertés, les syndicats décident de désavouer le bureau du CCE. François Cabrera et son équipe sont démis de leur fonction le 3 novembre lors d'une session extraordinaire du conseil d'administration du CCE. Cabrera est remplacé par un pilote, Jean-Yves Quinquenel du Syndicat national des pilotes de ligne, réputé pour son honnêteté et sa fine connaissance des arcanes du CCE.
Le nouveau bureau est également constitué d'élus de la CGT, de la CGC et de FO. «Jean-Yves Quinquenel a prévenu qu'il n'acceptait cette mission que de manière temporaire, afin de permettre à une société indépendante de réaliser un audit des comptes», explique un proche du dossier.
La nouvelle équipe dirigeante découvre alors que la «comptabilité d'engagement» du CCE, qui comptabilise les recettes et les dépenses dès leur facturation, a été détruite. Elle reçoit également chaque jour de nouvelles factures qu'elle doit payer alors que celles-ci n'étaient ni prévues ni provisionnées. Quant aux factures des dépenses déjà réalisées, il en manque une bonne partie. «Nous avons même découvert que des sommes fictives avaient été injectées dans les comptes 2008 pour masquer un résultat négatif», explique un membre de la nouvelle équipe dirigeante du CCE. Pendant ce temps, un cabinet d'audit, la société INA, épluche les comptes et constate de nombreuses irrégularités. «Il y a un trou de 21 à 24 millions d'euros, avoue abasourdi un observateur. 95% proviennent d'une mauvaise gestion et 5% d'un possible enrichissement personnel.»
Pour Noël 2008, le CCE a ainsi commandé treize représentations au cirque Pinder. Trois auraient été revendues à moindre prix pour les enfants des salariés d'Air France et dix auraient été revendues à des associations. Le problème, c'est que le produit de ces ventes n'est jamais arrivé au CCE. Plusieurs logements de fonction auraient également été loués par le CCE pour les élus syndicaux habitant en province. «Nous n'avons pas encore réussi à avoir les baux ou même l'adresse de certains appartements», admet un proche du dossier. L'audit n'a pas non plus réussi à clarifier la totalité des opérations des cartes de paiement mises à la disposition de membres du CCE. Certains comptes sont débités à hauteur de 3.000 euros par mois pour des achats de «draps de bain et d'écrans de télévision». De même, un voyage aux États-Unis à 28.000 euros aurait été financé par le CCE au frère de l'un des dirigeants du comité central d'entreprise. Des vœux auraient été organisés au Bourget et facturés 30.000 euros.
«Plus de vacances pendant deux ans»
L'ensemble de l'audit doit être remis cet après-midi à la commission économique du CCE et demain un CCE extraordinaire doit se tenir chez Air France pour informer l'ensemble des représentants syndicaux de la situation. Mais Dominique Bussereau a d'ores et déjà fait savoir lundi matin que le gouvernement allait demander des explications à la direction de la compagnie, dans le capital de laquelle, l'Etat n'est plus majoritaire. «C'est le moment où nous souhaitons que le transport aérien reparte et ce n'est pas le moment de mettre sur la place publique ce genre de choses. S'il y a un problème, il faut qu'il soit réglé rapidement», a ajouté le secrétaire d'Etat.
Le 8 décembre dernier, l'équipe dirigeante de transition a demandé à être reçue par Jean-Cyril Spinetta, l'ancien patron d'Air France, président du conseil d'administration depuis deux ans. Ce dernier a remis la rencontre en janvier après la publication du rapport d'audit. «Il voulait des preuves», explique un membre de la nouvelle équipe dirigeante. Dans la foulée, les membres de l'ancienne direction du CCE ont été reçus un à un par le cabinet d'audit pour s'expliquer. François Cabrera s'est présenté mercredi dernier dans la matinée sans qu'aucune information ne filtre sur la nature des échanges. «Des divergences politiques sont apparues mais en aucun cas un scandale», explique un proche de François Cabrera.
Une certaine gêne est perceptible au siège de la compagnie. «La direction ne pouvait pas ne pas savoir», assure un proche du dossier. Contactée par Le Figaro, la direction d'Air France indique de son côté que «les comptes du CCE ont été certifiés et qu'elle n'est pas au courant d'un quelconque déficit».
Selon nos informations, les responsables de la nouvelle direction du CCE attendent la réunion d'aujourd'hui pour porter plainte. Ils chercheraient toutefois à éviter de laver leur linge sale en famille. «C'est au commissaire aux comptes qui a certifié les exercices précédents de porter plainte s'il veut se couvrir, explique un observateur. Nous attendons qu'il prenne position sur le sujet pour prendre une décision.»
Les élus ont également un autre dossier épineux à régler rapidement : trouver un nouveau secrétaire général. Jean-Yves Quinquenel a fait savoir qu'il quittait ses fonctions le 20 janvier, sa mission d'encadrement de l'audit ayant été réalisée. «Personne ne convoite le poste, expliquait mardi dernier un responsable syndical à l'issue d'une réunion qui s'est tenue sur le sujet. À un an des prochaines élections, personne ne veut annoncer aux salariés qu'il n'y aura plus, pendant deux ans, de vacances et d'activités subventionnées par le CE.»
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