Le Japon consomme 90% du thon rouge pêché dans le monde. Le 5 janvier dernier, un thon de 232 kilos a été vendu aux enchères 122.000 euros.
Le gouvernement hésite entre interdire le commerce de ce poisson ou le restreindre. En attendant, le débat s'enflamme entre les pêcheurs et les ONG.
Interdire le thon rouge ou pas ? La question semble bien compliquée pour le gouvernement. Le ministre de l'Agriculture et de la Pêche, Bruno Le Maire, devait annoncer officiellement en début de semaine si la France inscrivait le thon rouge dans l'annexe 1 ou 2 de la Convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d'extinction (Cites). L'annexe 1 interdit totalement la vente de ce poisson hors des frontières du pays du bateau pêcheur, tandis que l'annexe 2 autorise le commerce international mais avec des restrictions.
Attendu au tournant par la profession et l'Union européenne, qui prendra sa décision pour l'Europe en mars, le ministre n'a pas été capable de trancher. Il renvoie la question à Nicolas Sarkozy, qui donnera la position française lors d'un déplacement à Mayotte en début de semaine prochaine.
Confusion:
La position du gouvernement est pour l'instant très confuse. Le 16 juillet dernier au Havre, Nicolas Sarkozy se disait favorable à une interdiction de tout commerce international de thon rouge. Le 12 janvier dernier, lors de la présentation de ses vœux à la presse et aux ONG, le ministre de l'Ecologie Jean-Louis Borloo rejoignait sa position. «Le président s'est exprimé sur le thon rouge. Je n'ai pas de doute sur la position française», avait-il affirmé.
Mais le lendemain, invité sur les plateaux de France 2, le ministre de la pêche Bruno Le Maire tenait un autre discours. «Je souhaite qu'effectivement nous prenions des décisions d'encadrement de la pêche, d'interdiction de la commercialisation, mais pas d'interdiction de la pêche», a-t-il déclaré. «Si nous interdisons la commercialisation du thon rouge, c'est-à-dire pour être très concret, si nous inscrivons le thon rouge en annexe 2 de la Cites, nous interdisons 90% des exportations de l'Union européenne vers l'extérieur, donc je crois que ce sera déjà un progrès important», a fait valoir le ministre.
Dans un communiqué, Greenpeace n'a pas manqué de souligner ces «couacs et désaccords au sein du gouvernement». Ces «incohérences» seraient dues à « des enjeux politiciens locaux». Le point de vu est partagé par le Comité national des pêches maritimes et des élevages marins (CNPMEM) qui craint «une décision politique».
« Nous ne sommes pas des fous furieux »
Le gouvernement est pris entre le marteau des écologistes et l'enclume des pêcheurs. La première opposition entre les deux porte sur l'état du stock de thon rouge. «Le déclin de la population est plus qu'alarmant. Celle-ci a chuté à moins de 15 % de la population d'origine, selon les évaluations scientifiques», explique Greenpeace. Pour les ONG, le thon serait au bord de l'extinction. De son côté, le Comité national de la pêche ne remet pas en cause le déclin mais dresse un constat moins alarmant. «Sur le terrain, on constate du poisson, sans diminution», explique Serge Larzabel, président de la Commission thon rouge au CNPMEM. «Nous avons demandé une campagne de survol des mers par l' Institut Français de recherche pour l'exploitation de la mer (Ifremer). En 2009, le constat était rassurant. Ca commence même à être plutôt bien».
La réponse à la situation s'oppose tout aussi radicalement. Alors que les ONG demandent l'inscription à l'annexe 1 de la Cites, les pêcheurs veulent laisser courir les restrictions en cours. En effet, L'Icat, l'organisme mondial qui planifie la pêche au thon rouge dans le monde, impose déjà un total de prises admissibles à 13.500 tonnes en 2010 contre 22.000 en 2009. Sur l'année 2009, la France a pêché 3.400 tonnes sur les 3.591 autorisés. L'essentiel est dédié à l'exportation, notamment au Japon. L'archipel consomme à lui seul 90% du thon rouge pêché dans le monde. Une étude est en cours pour évaluer l'état du stock mondial. Les résultats sont attendus en octobre ou novembre prochain. «On ne peut pas interdire maintenant, sur la base des études actuelles qui sont incomplètes. C'est trop tôt», s'énerve Serge Lazarbel.
Pour le CNP, l'interdiction de la pêche serait bien plus désastreuse que ce que pense le gouvernement. «On répète que cela ne concerne que 28 bateaux. C'est faux. Si l'on compte les tout petits pêcheurs qui en vivent aussi, cela représente 200 bateaux et environ 1.500 marins. Sans compter toute la filière. Un emploi en mer, c'est 3 emplois sur terre», déplore Serge Larzabel. Ce dernier dénonce le lobbying intensif des écologistes. «Pour eux, nous sommes des menteurs et des prédateurs. Mais nous ne sommes pas des fous furieux. Les pêcheurs méritent le respect». Et d'ajouter : «c'est trop facile de punir ceux qui respectent la réglementation. Mais c'est aux bateaux qui pêchent illégalement qu'il faut s'attaquer». La balle est désormais dans le camp de l'Elysée.
En pleine polémique, Auchan se positionne dans le débat en rejoignant WWF et Greenpeace. Le distributeur défend «l'arrêt total de la commercialisation du thon rouge». Le groupe rappelle qu'il a été précurseur dans la lutte pour la préservation de l'espèce. En effet, depuis 2007, Auchan a supprimé le thon rouge de ses étales. La mesure sera maintenue «jusqu'à la mise en place d'une pêche durable ne menaçant pas la survie de l'espèce». Selon Auchan, l'action aurait évité la vente de 1.400 tonnes en deux ans. La même initiative avait été prise par un ensemble de grands chefs cuisiniers en novembre dernier. D'Olivier Roellinger à Gaël Orieux en passant par Alain Ducasse et Joël Robuchon, beaucoup d'entre eux ont décidé de bannir ce mets de leurs grands restaurants. «Cette démarche doit servir de caisse de résonance auprès de tous ceux qui ont la responsabilité de nourrir les autres, les cuisiniers mais aussi les mamans et les papas», expliquait Olivier Roellinger.
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