Du passé faisons table rase. La tentation est naturelle pour un nouveau président de vouloir remettre les compteurs à zéro. Autrefois l'arme privilégiée était la dévaluation de la monnaie. Le franc en a subi pas moins d'une vingtaine au XXe siècle, comme l'avait rappelé Laurent Fabius, ministre des Finances au moment de l'arrivée des billets en euros le 1er janvier 2002. Cette facilité nous est désormais interdite et force est de trouver d'autres voies avec nos partenaires.
Le débat européen sur la croissance et l'austérité budgétaire n'a pourtant rien de nouveau. Il constitue même la règle au lendemain de chaque élection présidentielle en France. La volonté annoncée par François Hollande«que le calendrier de retour à l'équilibre budgétaire tienne compte des impératifs de la croissance», selon ses termes, est un remake de Sarkozy 2007 et de Chirac 2002.
Deux mois après son accession à la présidence, Nicolas Sarkozy s'était ainsi rendu, le 9 juillet, à Bruxelles participer en personne à la réunion mensuelle des ministres des Finances, une première pour un chef d'État. Il avait demandé «une application intelligente et dynamique du pacte de stabilité», et avait obtenu gain de cause. La France fut autorisée à ne ramener ses comptes à l'équilibre qu'en 2012 au lieu de 2010. Le temps nécessaire pour «mener ses réformes», celle des universités (qui a bien eu lieu), mais aussi l'instauration d'un «contrat unique de travail» (resté lettre morte). Quant au déficit...
La crise de la zone euro a désormais un double visage:
Cinq ans plus tôt, en 2002, Jacques Chirac, qui venait de se faire réélire contre Jean-Marie Le Pen, n'avait pas fait lui-même le voyage à Bruxelles. Mais son ministre des Finances, Francis Mer, y avait tenu le même langage. «Il ne faut pas s'attacher à la lettre de cet accord (le pacte de stabilité budgétaire), mais à son esprit», avait plaidé l'ancien patron de la sidérurgie (et créateur d'Arcelor).Le dossier français fut d'autant plus facile à défendre que le mauvais élève de l'Europe était l'Allemagne (elle affichait un déficit de 2,7% du PIB, contre 1,7% pour la France). L'Italien Romano Prodi, qui présidait la Commission de Bruxelles, avait même qualifié de «stupide» (sic) le «pacte de stabilité et de croissance», et sa règle d'un déficit maximal de 3%.
Il est «stupide» en effet de contraindre les États à améliorer leurs comptes en période de récession, car l'austérité budgétaire ne fait qu'exacerber les difficultés. C'est aujourd'hui le grand argument de François Hollande, qui s'inscrit dans une tradition de bon sens bien française: il faut donner du temps au temps, une rigueur excessive ne peut que tuer le malade.
Hélas, le paysage s'est considérablement assombri par rapport à 2002 et à 2007. Comme le soulignait à nouveau la semaine dernière devant le Bundestag Angela Merkel, la crise de la zone euro a désormais un double visage, d'une part «un endettement catastrophique» et de l'autre «un manque de compétitivité» de l'économie européenne.
Ce diagnostic s'applique particulièrement à la France. Lorsque Francis Mer demandait d'assouplir les règles budgétaires, l'économie française restait très compétitive. Elle affichait un excédent commercial confortable et notre industrie avait pleinement bénéficié de la faiblesse de l'euro, tombé à près de 0,80 dollar en 2000. L'Euroland vivait une sorte d'euphorie grâce à la monnaie unique: les Espagnols n'avaient jamais connu des crédits aussi bon marché et tous les Européens voulaient avoir leur résidence secondaire en Espagne.
L'union monétaire a donné un sentiment d'impunité:
En réalité, trois erreurs de politique économique ont été commises vis-à-vis de l'euro. La «crise internationale la plus grave depuis 1930», selon l'expression consacrée, n'a été que le révélateur de nos inconséquences, alors qu'on veut en faire un bouc émissaire.La première faute tient au «court-termisme» de la plupart des gouvernements européens. Un haut fonctionnaire de Bercy se souvient encore de sa convocation au Sénat, à l'été 2000, car on le soupçonnait de cacher la «cagnotte fiscale», autrement dit le surplus de rentrées d'impôt lié à la bonne conjoncture. En cette période de cohabitation, on a donc préféré alléger la fiscalité et accroître les dépenses, comme si le déficit avait disparu, alors qu'il dépassait allègrement les 200 milliards de francs!
Deuxième confusion, l'union monétaire a donné un sentiment d'impunité. C'est le syndrome bien connu des assureurs qui parlent «d'aléa moral», pour désigner les comportements irresponsables des assurés. Les marchés ont certes aussi leur part, eux qui ont prêté sans sourciller à l'Europe du Sud, comme si l'euro garantissait sa solvabilité.
Troisième bévue, les politiques européennes et leurs opinions publiques n'ont pas saisi que la crise des dettes de 2008, privées puis publiques, allait entraîner une cassure de leurs perspectives de croissance. On se rappelle qu'en 2002, Jacques Chirac et Lionel Jospin, les deux principaux candidats à la présidentielle, fondaient leurs politiques économiques sur une «hypothèse de croissance» de 3% l'an, comme si celle-ci tombait du ciel. Le drame est que «les décisions politiques recherchent la mobilisation collective… Ce qui est recherché, ce n'est pas la bonne solution, mais l'adhésion. Leur fragilité vient de cet objectif de mobilisation», rappelle le sociologue Christian Morel. Car il est essentiel de se faire élire.
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