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lundi 11 juin 2012

Hollande-Merkel : une lutte idéologique sur l'Europe.

La chancelière allemande a une conception libérale et fédéraliste, le Français est un dirigiste pour l'économie et un étatiste en politique.


Que propose François Hollande pour sauver la zone euro? Une solidarité financière accrue et une relance écono­mique collective. Côté finance, c'est ce qu'il ne cesse d'appeler les «eurobonds», quand l'immense majorité des journalistes français ayant le souci de leur langue et de leur outil de travail parle d'«euro-obligations». L'émission en commun, par les 17 États de la zone euro, de titres de dette sur les marchés permettrait aux pays les moins solides de s'endetter à meilleur compte. Quant à la croissance, comme la paix ou la santé, qui saurait s'en désintéresser?
Voilà ce qui apparaît comme du bon sens, «la chose du monde la mieux partagée», disait Descartes pour nommer la «raison», dans sa langue du XVIIe siècle. Vive le rationalisme français! Mais en face, Angela Merkel s'exprime elle aussi dans son arbre généalogique, celui de «l'idéalisme allemand». Et, il faut le reconnaître, le modèle que la chancelière voudrait étendre à l'ensemble de l'Europe repose sur un corps de doctrine puissant. Et il a quelques trophées à son actif qui plaident en sa faveur, depuis la reconstruction d'après guerre et la réunification de 1990.
«L'économie sociale de marché», à laquelle s'identifie l'Allemagne depuis 1945, est souvent présentée en France comme un oxymore, une synthèse heureuse entre le libéralisme anglo-saxon et la solidarité sociale. Les principes directeurs en remontent à 1929. Des universitaires de Fribourg, l'éco­nomiste Walter Eucken et le juriste Hans Grossmann-Doerth entre autres, ont alors cherché une réponse à la crise financière mondiale en inventant un nouvel ordre économique, l'«ordolibéralisme».

Circonscrire la puissance maléfique de tout pouvoir public:

Ce courant de pensée, occulté par le nazisme, a connu son heure de gloire dans l'après-guerre. Ludwig Erhard, le père du miracle économique allemand, s'en inspira délibérément, le résumant ainsi dans un discours fondateur de 1948: «Il faut libérer l'économie des contraintes étatiques… Il faut éviter l'anarchie et l'État-termite… car seul un État établissant à la fois la liberté et la responsabilité des citoyens peut légitimement parler au nom du peuple». Le «libéralisme ordonné» constituait une approche séduisante dans l'Allemagne traumatisée par le totalitarisme et qui voulait à tout prix circonscrire la puissance maléfique de tout pouvoir public. Prenant le contre-pied des théories contemporaines de Keynes, il fait de l'État le garant des règles du jeu écono­mique, et il ne veut surtout pas qu'il intervienne directement.
C'est «une doctrine hostile à la politique de réglage conjoncturel», analyse le professeur Christophe Strassel, dans une note magistrale faite pour le groupe d'études «En temps réel». D'où également la primauté accordée à l'indépendance de la politique monétaire de la Bundesbank ou encore le rôle prépondérant confié à l'«office fédéral des cartels», l'une et l'autre créés la même année (1957). On retrouve cette philosophie régulatrice dans l'obsession des «politiques structurelles» que l'Allemagne s'impose en permanence à elle-même pour être compétitive et qu'elle voudrait instiller à ses voisins.
L'ordolibéralisme, qui fascina le philosophe Michel Foucault, l'icône de la scène intellectuelle française des années 1960-1980, a façonné le paysage allemand. Il a tout autant marqué de son empreinte la construction de l'Europe. C'est vrai pour la politique de la concurrence, devenue l'alpha et l'oméga du marché unique européen. Il en va de même pour la Banque centrale européenne et son indépendance absolue à l'égard du pouvoir politique.

Combat du pot de terre contre le pot de fer:

Des deux sources d'inspiration qui ont influencé l'Europe depuis le traité de Rome de 1957, il est clair que le pilier germanique a d'ores et déjà pris le pas sur le pilier français et l'interventionnisme d'État, au cœur de notre modèle national. La conception allemande consistant «à soumettre la politique écono­mique à des règles plutôt qu'à des instances de délibération politique» l'emporte, constate Christophe Strassel dans son étude.
L'affrontement idéologique que mènent ouvertement François Hollande et Angela Merkel ressemble au combat du pot de terre contre le pot de fer. Le premier en est réduit à convoquer des alliés anglo-saxons: du président Obama à la cohorte des économistes keynésiens, tels Paul Krugman et Joseph Stiglitz, tous soutiennent le chef d'État français dans ses appels à une relance, au nom de l'urgence et des catastrophes à conjurer hic et nunc. Car, selon le mot de Keynes, à long terme on est tous morts.
Le camp français n'en sera pas quitte pour autant face au rouleau compresseur allemand, qui articule dans une logique impeccable union monétaire et union budgétaire, impératif de compétitivité et réformes structurelles. Outre l'ordolibéra­lisme, Berlin revendique à bon droit son fédéralisme, inscrit dans sa propre Constitution: chaque entité territoriale, les Länder, l'État fédéral, est entièrement responsable à son niveau de son propre budget. Seul un État fédéral européen, à créer et impliquant de véritables transferts des souverainetés nationales à son profit, pourrait donc émettre des euro-obligations.
«L'Angleterre est une île, l'Allemagne un peuple, et la France un État», selon André Siegfried, le professeur de Sciences Po d'autrefois. Les Européens finiront-ils par se percevoir comme une communauté et s'organiser en fédération?

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